05/05/2022
Les Mouron vivent la filiation en fécond partage d’émotions
Illustrant un premier Dialogue entre l’Artiste (Didier) et l’écrivain Quentin), une magnifique exposition est à voir ces prochains jours à Giez (nord vaudois), qu’accompagne une publication exhaustive.
L’arrière-pays vaudois du pied du Jura est ces jours de toute beauté, avec ses modulations de vert tendre et d’ocres roux, le jaune acide des champs de colza et , par delà les eaux pâles du lac, là-bas, et les méplats de l’autre rive remontant vers l’Est, la ligne brisées des Préalpes qu’on aperçoit des fenêtres d’une grande ferme sise au cœur du village de Giez, sur les hauts du bourg lacustre de Grandson, en cet Espace DM conçu par Didier Mouron et son Isabelle, somptueux écrin pour une expo dont l’accrochage hyper-soigné raconte à lui seul une histoire. Il était une fois trois perfectionnistes…
Sur les murs de pierre apparente, ainsi, et sur plusieurs niveaux reliés par un escalier de solide vieux bois, c’est une autre histoire encore, ou plusieurs histoires même, que fixent 32 tableaux-poèmes flanqués de poèmes-images.
Même s’il a exposé à la Cité interdite (entre autres escales au Japon, en Californie, au Canada et même au Mont Pèlerin) et qu’il n’est pas inconnu en nos contrées, Didier Mouron (né en 1958 à Vevey) devrait être mieux reconnu, et particulièrement aujourd’hui où son art, strictement borné à l’usage du crayon mine, atteint une sorte de plénitude gracieuse, par delà sa parfaite technique et ses références naguère plus ou moins explicites, du côté de Salvador Dali et des surréalistes, du réalisme magique ou du symbolisme « cosmique ».
Ironiquement, c’est épuré de cette «littérature » que l’artiste, pourtant moins « littéraire » que son fils, rejoint Quentin dont la poésie, dès ses variations américaines de Lost accompagnant les formidables photographies de Claude Dussez (Favre, 2016) tend elle aussi à l’épure sans s’assécher pour autant dans le minimalisme…
Quand le cow-boy et l’Indien font ami-ami
Le rêve d’avoir un père à admirer, coïncidant avec l’admiration d’un père laissant librement son fils s’épanouir, la confluence d’un même sang n’excluant pas le parcours en vaisseaux séparés, chacun son âge et sa tête, chacun sa conviction d’être le chef dans sa partie, ni le fils de la fable freudienne impatient de buter son paternel pour se faire Jocaste, ni le père jaloux de ce rival montant en grappe, l’amour des arbres chez le cow-boy Didier et la passion des livres chez l’Indien Quentin - tout cela pourrait faire une assez épique bio croisée sur fond de forêt québécoise et de rivages vaudois, alors que l’artiste et l’écrivain ne se livrent ici, dans ce Dialogue, que par des objets cristallisant leurs communes émotions.
Telle étant la poésie : une sublimation, ici par l’image évocatrice, là par le mot décanté au plus juste. Jocaste ? Isabelle, dédicataire du recueil, inspire Quentin avec Femme et mère, trois vers comme d’un haïku : Elle a l’élégance des séismes / infinis / Qui trembleront encore après la terre, et le tableau de Didier, à double figure féminine, comme en abyme, flanquée d’un arbrisseau fragile, ouvre une troisième dimension au poème, à moins que ce soit l’inverse… Père et fils, au naturel, se chamaillent volontiers. Quentin reproche à son vieux de ne rien comprendre à la politique. Didier trouve ce petit crevé bien cassant parfois, bien sûr de lui, même s’il reconnaît que son propre Ego d’artiste lui est vital (je suis le best dans ma partie, sinon rien) et concède donc au Poète le droit et peut-être le devoir de se prendre lui aussi pour Céline ou Proust, au moins. Bref le Dialogue est la meilleure façon de poursuivre la guerre des générations autrement, et ça donne 32 poèmes étincelants jouxtant 32 tableaux, ou l’inverse. Qui racontent, chacun à sa façon, la foule et la foudre sur un boulevard, les moments de l’amour, caresses et disparitions, l’aïeule qui s’en va et les voleuses de feu, la mort en famille et les travailleuses de l’amour, des rabelaisiens et des rabelaisiennes, de la musique au clair de lune et des amants qui dérivent, rien de banal ou de mièvre, les mots sculptés, le clair-obscur drapé ou du sfumato de brume rêveuse et, de loin en loin, arrêt sur image et merveilles : Le Parfum de l’absente, dont la douceur contraste avec le dessin comme « ressaisi », des évocations frisant l’aporie sensible comme dans L’infini de ta disparition, de plus humbles « minutes heureuses » ramenant Baudelaire au quotidien, de la mélancolie et du fruit, du barbare et de la bête, enfin quoi : 32 fois la vie et ce n’est pas fini - la Poésie survit…
Didier et Quentin Mourom. Dialogue 1 (2021-2022). Préfacé par Bertrand R. Reich. Edition limitée.
Exposition. Dès le 6 mai 2022 (vernissage à 18h), Giez, espace DM.
Rappel : Claude Dussez (photographies) et Quentin Mouron (poèmes), Lost, Favre 2016.
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02/02/2022
Un soupçon d'humour noir peut aider à supporter le poids du monde...

Une série anglaise de l’humoriste Ricky Gervais, After Life, évoquant le deuil de manière plutôt hilarante, et le premier roman d’Emmanuelle Robert, Malatraix, détaillant les méfaits d’un terroriste préalpin qui venge la Nature afin de préserver les hauteurs sublimes de l’invasion parasitaire des «traileurs», modulent les envies de tuer qui nous viennent parfois pour de plus ou moins nobles raisons, avec ou sans passage à l’acte…
C’est d’abord l’histoire d’un quinqua déprimé, prénommé Tony, qui vient de perdre la Lisa de sa vie et se demande s’il va plutôt tuer son prochain qui ne lui a rien fait, pour se venger de la vie salope, ou plutôt se taillader les veines – ce à quoi il renonce devant le regard réprobateur de sa chienne Randy.
Tel est l’argument de départ de la série à succès After Life, délectable suite d’horribles petits épisodes écrits et interprétés par l’humoriste Ricky Gervais et que, me sachant en grand deuil depuis décembre dernier, un ami né le jour de la mort de Che Guevara, en octobre 1947, a cru bon de me conseiller, à moi qui suis né le jour de la naissance du Che et de Donald Trump, le 14 juin de cette même année.
Or, allez comprendre la nature humaine : je sais gré à mon compère de la découverte (tardive, puisqu’on en est à la troisième et dernier saison qui a drainé plus de 100 millions de spectateurs) de ce feuilleton ironisant à sa façon sur le « travail de deuil», quand bien même je n’ai pas été tenté, une seconde, de trucider mon entourage ni de me jeter dans la baye de Montreux avec une pierre au cou.
Par ailleurs, After Life m’a rappelé, aussi, ma carrière dans les diverses rédactions où j’ai sévi pendant cinquante ans - Tony collaborant à un «gratuit» qu’il trouve décidément minable depuis la mort de Lisa, alors que celle-ci, tous les jours, continue de l’encourager à vivre par la truchement de l’ordi sur lequel elle a enregistré des messages à lire après sa mort, entre autres vidéos de leur joyeuse vie commune.
C'est aussi parce qu’il y a bel et bien une vie après Lisa, qui le pousse à lui trouver une remplaçante, que tous ses proches s’efforcent de raisonner Tony dont la douleur lui fait croire qu’il peut tout se permettre: son beau-frère qui dirige le «gratuit» et la brave dame venant se recueillir devant la tombe de son défunt Stan, voisine de celle de Lisa; son psychiatre gentiment débile mais de bonne volonté qu’il traite de nul sans se gêner; une plantureuse courtisane qu’il remballe d’abord et qui lui propose de lui faire son ménage en tout bien tout honneur; d’autres encore; et peu à peu, malgré sa rage, lui apparaissent la gentillesse et pire: la bonté des braves gens, tandis que Lisa, sur son écran de laptop, lui répète qu’il est le roi des types – tout cela pimenté d’irrésistibles épisodes, au fil des «sujets» qu’il traite pour sa feuille locale, dont la rencontre avec une centenaire - fierté locale à citer absolument en exemple pour sa probable sagesse , qui lui lance que la vieillesse est une calamité et qu’elle se réjouit de clamser…
Bref, et comme dans la série Mum, version féminine du même sujet, le succès phénoménal d’After life tient sans doute à l’immense tendresse que dissimule son apparent cynisme, faisant de tous ses personnages des sœurs et frères humains en somme dignes de sympathie…
Sympathie même avec le démon ? Chiche !
Le terme qui convient le mieux à la nature des relations d’Emmanuelle Robert avec les nombreux personnages, de tous les âges, de son premier roman, est sans doute celui-ci : sympathie, et qui se communique illico à la lectrice et au lecteur.
Ceux-ci, bien élevés ou sagement conformés aux traditions bienséantes de la paroisse littéraire romande, se formaliseront peut être à la lecture des quatre premières pages de Malatraix, intitulées Carnet et rédigées par un malappris agressif au langage grossier, visiblement talonné par «cette merde de virus», non moins cancéreux en rémission temporaire et tout décidé, avant le grand saut, de purger la Montagne, sacrée à ses yeux, de tous les « guignols en baskets» qui en polluent les flancs et les crêtes. On apprendra plus loin que cet ange exterminateur est un ancien guide à l’ego proportionné à ce qui lui reste de belle gueule, mais pas question de «spoiler la story», n’est-ce pas, comme le recommandent les amateurs de séries.
Or précisément, dans le même style des séries, l’on parodiera tout de même la mise en garde d’usage : langage grossier, violence, sexe, drogue, suicides, déconseillé au moins de 13 ans…
Et la sympathie là-dedans ? Pas moins immédiate dans la mesure où le Carnet du type se posant en nouveau Farinet, «résistant» et chargé de mission par l’Alpe sublime, fait écho à quelque chose que tout Helvète ami de la nature de tous les sexes peut éprouver.
Il me souvient, ainsi, qu’entre seize et vingt ans, fous de grimpe d’avant et après mai 68, nous aurons, à l’enseigne du FDA (Front de désintoxication alpine), imaginé de dynamiter moult pylônes et autres obscénités mécaniques souillant la pureté des hauteurs, quitte à user nous-mêmes de moyens artificiels pour passer un surplomb ou remonter une dalle ou une fissure de sixième degré supérieur, etc.
Donc «grave sympa» la Manu, comme le relèverait le joli Dani, le plus jeune de ses personnages, qui parle comme vos ados même moins «chelous» que lui, et dont la «galère perso» s’inscrit bien dans les zones d’ombre de la crise sanitaire, entre «teufs de oufs» et « plans culs » à voile et vapeur, sans parler de faits carrément « relous » (trafics de filles de l’Est et autres malversations liées au Covid), etc
Cela surtout à souligner d'emblée: que la narration de Malatraix se fait dans le langage particulier de chaque personnage, sans que sa fluidité ou son naturel n’en pâtissent. Il est vrai que le parler actuel, jusque «par chez nous» où l’on dit «contour» pour virage et «là-bas en haut » pour là-haut, est aussi métissé que la société des temps qui courent…
Purs et durs en dolce Riviera
Après quelque pages d’anthologie sur l’argot des bagnards, dans Splendeurs et misères des courtisanes, Balzac fait cette remarque concernant les exagérations de la fiction par rapport aux données de la réalité : «Une des obligations auxquelles ne doit jamais manquer l’historien des mœurs, c’est de ne point gâter le vrai par des arrangements en apparence dramatiques, surtout quand le vrai a pris la peine de devenir romanesque ». Puis le romancier dit, en substance, que la «nature sociale», notamment dans une grande ville, est devenue tellement «romanesque» qu’elle dépasse tout ce qu’un écrivain peut imaginer. Et d’ajouter : «La hardiesse du vrai s’élève à des combinaisons interdites à l’art, tant elles sont invraisemblables et peu décentes, à moins que l’écrivain ne les adoucisse, ne les émonde , ne les châtre »…
Or Balzac n’était pas du genre à « châtrer» la réalité, ni non plus à brider sa folle imagination. Cependant, rapportés à la Suisse actuelle, et à l’image qu’en donnent nos écrivains, que dire de leur souci du «vrai» ou de éventuelles exagérations de leurs fictions ? Je me suis posé la question en lisant naguère les premiers romans de Marc Voltenauer, qui ne se situaient ni à Paris ni à Los Angeles mais dans nos Préalpes où tel tueur en série rôdait entre marmottes et ruminants placides. Du moins Voltenauer achoppait-il bel et bien à une thématique sociale, économique ou psycho-pathologique impliquant telle ou elle «affaire» à connotations criminelles, comme un Dürrenmatt ou un Glauser dans leurs récits «noirs» antérieurs.
Cela noté pour en revenir à Malatraix, qui emprunte les sentiers locaux à la manière de Voltenauer – au ravissement probable des randonneurs de notre classe moyenne gentiment encanaillée et redécouvrant la belle nature.
Quant à la vraisemblance du «killeur» s’en prenant aux «traileurs» du Haut-lac, genre ex-beau mec grand baiseur et pervers narcissique quoique guide patenté, pourquoi ne pas y croire quand on sait ce qu’on sait et qu’on voit ce qu’on voit, comme le dirait l’adorable vieille Marie-Rose bientôt centenaire qui risque de s’exploser en fumant ses clopes trop près de ses bonbonnes à oxygènes ?
Ce qui est sûr, au sens balzacien du «vrai», c’est qu’Emmanuelle Robert et ses personnages sont «en phase» avec notre présent récent (la pandémie, l’obsession sanitaire, la non moins obsédante courses aux «perfos», la crise climatique et ses dérives para-terroristes, l’errance affective et sensuelle d'un peu toutes et tous, la liberté des mœurs n’excluant pas les éthiques personnelles rigoureuses) et qu’il en ressort, conforme aux codes du genre très bien maîtrisés, un roman franc de collier et tendrement accordé au sens commun, narquois et débonnaire, dont le sentiment qui s’en dégage, excluant toute complaisance morbide ou malsaine, relève, une fois encore, d’une sympathie partagée qui ne s’aveugle pas, disposée cependant à «faire avec» l’impureté de notre putain d’espèce…
Emmanuelle Robert, dès son premier roman, sait faire parler notre terre et ses gens, démêler en nous la part des anges et des démons, célébrer aussi la bonne vie au bord du ciel splendide cerné d’orages, etc.
Emmanuelle Robert, Malatraix, Editions Slatkine, 493 p. 2021.
After Life, de Ricky Gervais, 3 saisons sur Netflix.
18:23 Publié dans Culture, Femmes, Fiction, Humour, Jeux de mots, Société - People, Sports, Suisse, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)
14/10/2021
Sans René Langel, l'avenir perd une mémoire...





17:02 Publié dans Amis - Amies, Culture, Lettres, Médias, Monde, Musique, Suisse, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)
22/09/2021
L'ami Roland boit la ciguë, ou la mort du moineau perdu







17:06 Publié dans Culture, Lettres, Médias, Monde, Politique, Société - People, Suisse, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)
06/09/2021
Le Temps accordé





10:57 Publié dans Culture, Lettres, Nature, Société - People, Solidarité, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)
27/08/2021
By bye Jimmy - forever young


18:24 Publié dans Culture, Histoire, Médias, Musique, Société - People, Suisse, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)
14/07/2021
Merci à Monsieur Lamunière d'avoir partagé ses passions



22:12 Publié dans Culture, Humour, Lettres, Médias, Suisse, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)
25/02/2021
Philippe Jaccottet par delà les eaux sombres




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24/12/2020
Vu que la Noël du poète serait partout et tous les jours





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24/05/2020
Les passions de Gemma Salem étaient des défis à la mort
Hommage reconnaissant à l'Amie et à l'Écrivain,
par JLK
C’est entendu: vous avez chialé un bon coup après vous être exclamé «non mais c’est pas vrai! », et quand vous avez compris que c’était vrai vous avez fait votre job de vivants qui est de se lamenter à la cantonade, saules pleureurs et pleureuse éplorées que vous êtes alors que déjà, là-bas, Gemma se rallumait une nouvelle clope dans son cimetière autrichien avant d’éclater de rire en s’imaginant, bande d’éclopés, ses fistons et leur smala, ses amis et autres ennemis, vos pauvres mines d’enterrement !
Gemma Salem les pieds devant: non mais t’imagines ! Bien plutôt, après le pied au cul de sa mère - elle l’avait écrit noir sur blanc -, cette dernière fois au derche de la mère du monde qui vous fauchera toutes et tous à la fin, ça aussi c’est écrit !
Et c’est ça aussi qui nous reste : ce qui est écrit. Les écrits de Gemma Salem qui font la pige à toutes les détresses, des écrits comme qui dirait « pour la vie», donc des écrits qui chialent comme vous et qui rient pour tous - des écrits comme dictés par la vie et qui survivront parce qu’ils sont plus que de simples «récits de vie». Des écrits qui ne sont pas que de plates copies de la vie mais qui ajoutent à celle-ci la valeur ajoutée de ce qu’on appelle l’Art avec une grande aile, ou la Littérature à majuscule vénérable, ou la poésie mais sans chichis - et surtout musique à l’appui: la poésie de Schubert qui écrivait spécialement pour cette cinglée de Gemma - croyait-elle dur comme fer -, la poésie de Beethoven et son grand mouvement de rumba, la poésie de ce cœur de chien de Boulgakov , la folle poésie décavée de Jean Rhys en ses propres Tropiques passionnels, la poésie martelante et martelée de TB alias Thomas Bernhard à jamais inatteignable et bien avant qu’il l’eut précédée par delà les eaux sombres. Thomas Bernhard mort ? Et quoi encore !
Au commencent était l’Artiste
Gemma, qui n’était pas encore Gemma Salem l’écrivain (jamais je n’arriverai à la dire écrivaine), m’est apparue à la toute fin d’une soirée dans un caveau lausannois enfumé qui symbolisait alors la bohème locale, à l’enseigne des Faux-Nez, et tout aussitôt j’ai pensé : Princesse persane, Reine sarrasine, Shéhérazade à Gauloises bleues - et c’était parti pour un bout de comédie avec l’Actrice, vu qu’à l’époque Gemma Salem se croyait faite pour le théâtre.
Or notre première engueulade, avec Gemma championne du genre, remonte à cet instant où elle a senti, sans que je ne lui dise rien, que je ne croyais pas qu’elle fût le moins du monde actrice, convaincu qu’elle était trop elle-même pour incarner jamais un autre personnage sur une scène, et du coup elle m’en voulut à mort de le penser sans le dire vu qu’elle-même le sentait sans oser le reconnaître; et je ne fus guère surpris de la retrouver, plus tard, dans un autre rôle où elle pouvait incarner tous les personnages qui lui chantaient à sa guise, rien qu’avec une plume et du sang vif (du sang bleu s’il vous plaît) pour l’exprimer.
Cependant l’essentiel demeurait: Gemma Salem l’écrivain avait remplacé l’actrice au pied levé et l’Artiste demeurait. Pas étonnant d’ailleurs que L’Artiste (La Table ronde, 1991 - prix Schiller) soit le titre d’un de ses livres. Mais plus que surprenant, réellement stupéfiante : l’immédiate puissance de l’écrivain, brassant une vie entière à pleines mains et en tirant un vrai premier roman dense et vibrant d’émotion, formidablement vivant.
Des passions vécues et sublimées par l’écriture
L’histoire du Roman de Monsieur Boulgakovest celle d’une passion «incendiaire» autant qu’imaginaire. Une jeune comédienne aux origines panachées d’Orient pimenté et de Suisse confite, installée dans le Midi et languissant un peu d’accéder à la gloire tous azimuts, tombe soudain sur le specimen masculin de ses rêves : un écrivain russe fascinant mais rayé du nombre des vivants dans le crépuscule sanglant des années 30. Rencontre donc de type occulte…
La comédienne s’appelle Gemma Salem. L’auteur est Mikhaïl Afanassiévitch Boulgakov, auteur du Maître et Marguerite, des Oeufs fatidiques,du Roman théâtralet de Cœur de chien, mais aussi des Récits d’un jeune médecinqui l’apparentant à un certain Anton Pavlovitch Tchekhov, future autre passion de Gemma.
Or le coup de foudre de celle-ci pour Boulgakov est tel que, non contente de dévorer tous ses écrits traduits en quelques mois, elle en investit et réfracte l’univers à la façon de Diablerie- nouvelle du même Boulgakov -, poussant l’observation mimétique de la discordance entre réalité et fiction jusqu’à l’absurde hallucinant.
Plus précisément, Gemma Salem, dansLe Roman de Monsieur Bulgakov,reconstitue des lieux et fait parler des personnages de chair et de sang, fondant tout cela dans le mouvement d’un temps fuyant, à la fois tangible et impalpable.
C’est ainsi que, dès les premières pages du roman, nous nous transportons, aux côtés du jeune Micha, alors toubib débutant, dans le Kiev de son enfance. Et dès ce moment se remarque l’habileté avec laquelle Gemma Salem tire parti d’éléments empruntés aux œuvres de l’écrivain, pour donner au roman son climat, ses couleurs et sa vraisemblance, et cela sans qu’on n’ait jamais l’impression de subir une compilation non plus qu’un relevé de filature.
Ensuite nous suivrons Boulgakov à travers les années, des lendemains de la Révolutuoin à la fin des années 30, au fil d’une production littéraire très étroitement surveillée dès ses débuts, à cause de sa liberté de ton et de sa propension satirique, complètement interdite de publication et de représentation au tournant de 1928 (quand bien même Staline avait vu et revu dix–sept fois la pièce intitulée Les Journées des Tourbine!) et que l’acharnement de sa dernière compagne – le très beau personnage de Lena – fera sortir des tiroirs d’infamie après la mort de l’écrivain.
De ce dernier,Le Roman de Monsieur Boulgakovnous donne une image attachante et nuancée. En évitant les pièges de l’idéalisation ou du sentimentalisme, si fréquents dans le genre, Gemma Salem a recomposé le portrait d’un Monsieur très porté sur la vie et les femmes, capable d’autant d’amitié chaleureuse que d’intransigeance têtue, qui tenait par-dessus tout à préserver ses œuvres de toute compromission. Or, d’une certaine manière, et ce sera vrai de tous ses livres, l’écrivain brosse son propre portrait en travaillant à celui de son modèle.
J’ai parlé de mimétisme à propos de la relation de Gemma Salem avec Boulgakov, dont le sort de David poétique en butte à l’écrasant Goliath soviétique ne pouvait qu’émouvoir la jeune femme blessée par la vie et en bisbille déclarée avec les pesanteurs de la famille et de la société, et c’est le même type de rapport - maintes fois décrit par un René Girard dans ses analyses de la passion mimétique -, qu’elle établira avec Thomas Bernhard, jusqu’à une identification redoutable du fait que l’imprécateur autrichien restait, lui, bien vivant…
Que l’acte artistique relève de la conversion
Tous les livres de Gemma Salem, jusqu’aux plus agressifs ou acides, comme Mes amis et autres ennemis(Zulma, 1995) ouLa Rumba à Beethoven(Pierre-Guillaume de Roux, 2019) sont des histoires d’amour relevant de l’exorcisme et qui disent à la fois les beautés de la vie (les enfants et les animaux, la musique et les sentiments délicats) et le mal de vivre, l’exécration du mensonge sentimental ou « romantique », le mépris qu’elle partageait avec Thomas Bernhard de tous les simulacres sociaux ou culturels qu’elle pointe notamment dans ses tableaux au vitriol d’une certaine Suisse hypocritement convenable, notamment dans Les exilés de Khorramshahr(La Table ronde, 1986) et dansBétulia(Flammarion, 1987), où la rage tonique de sa deuxième flamme littéraire se fait déjà sentir, qui se développera plus librement dans sa fameuse Lettre à l’hermite autrichien(La Table ronde, 1989), relancée dans Thomas Bernhard et les siens(La Table ronde 1993) et jusque dans son dernier livre, sur le ton plus apaisé d’un bilan existentiel très émouvant où elle «prend sur elle», comme on dit, en se reprochant son terrifiant amour propre…
Il y a, de fait, chez Gemma Salem, comme chez le grand emmerdeur autrichien, un personnage à la fois solaire et son double farouchement ombrageux, pas loin des possédé(e)s de Dostoïevski, qui se rend parfois la vie aussi impossible qu’à son entourage, mais que l’Art, une fois encore, délivre - cela même qu’entend René Girard une fois encore, dans Mensonge romantique et vérité romanesque.
La figure de Thomas Bernhard, assis sur un banc les mains aux poche, l’air de nous dire qu’il n’en a rien à fiche, trône sur la couverture d’Où sont ceux que ton cœur aime(Arléa, 2019), mais TB n’est qu’un truchement : le médiateur par excellence que Gemma n’a jamais pu enlacer «pour de vrai», une figure de la pureté dans un monde avachi par le kitsch, un contempteur de toutes les illusions à bon marché mais qui nous fait un clin d’œil amical comme Gemma, fumant son dernier pétard sur sa tombe, nous en vrille un plein d’amour…
JLK
À La Désirade, ce 24 mai 2020.
19:13 Publié dans Amis - Amies, Culture, Femmes, Lettres, Suisse, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)
23/05/2020
Gemma Salem n'est plus
C'est avec une profonde tristesse que nous venons d'apprendre le décès, à Vienne de notre amie Gemma Salem, soeur de feu Gérard et de Gilbert, et mère de Richard et Karim Dubugnon.
Avec Gemma Salem disparaît une auteure très remarquable, qui était entrée en littérature en 1982 avec un portrait romanesque mémorable de Mikhaïl Boulgakov, son premier amour littéraire avant sa rencontre de Thomas Bernhard auquel elle consacra plusieurs ouvrages de premier ordre et à qui elle rendait un nouvel hommage dans son dernier livre paru à la fin de l'an dernier, intitulé Où sont ceux que ton coeur aime et publié dans la collection La rencontre des éditions Arléa...
Un amour de Boulgakov
Au début des années 80, Gemma Salem publiait son premier roman, auquel je consacrai ce papier, paru dans le journal Libération le 22 avril 1982.
L’histoire du Roman de Monsieur Boulgakov est celle d’une passion « incendiaire ». Une jeune comédienne aux origines panachées d’Orient pimenté et de Suisse confite, installée dans le Midi et languissant un peu d’accéder à la gloire tous azimuts, tombe soudain sur le specimen masculin de ses rêves : un écrivain russe très grand en centimètres autant qu’en format littéraire, mais rayé du nombre des vivants dans le crépuscule sanglant des années 30. Rencontre donc de type occulte…
La comédienne s’appelle Gemma Salem. L’auteur est Mikhaïl Afanassiévitch Boulgakov, auteur du Maître et Marguerite, des Oeufs fatidiques, du Roman théâtral et de Cœur de chien.
Or le coup de foudre de Gemma Salem est tel que, non contente de dévorer tous les écrits traduits de Boulgakov en quelques mois, elle en a investi et réfracté l’univers à la façon de Diablerie - nouvelle du même Boulgakov -, poussant l’observation mimétique de la discordance entre réalité et discours jusqu’à l’absurde hallucinant.
À dire vrai, Le Roman de Monsieur Boulgakov ne nous intéresse pas tant par son approche, d’ailleurs très partielle, des positions éthiques ou esthétiques de l’écrivain, que par la recréation, vivante et truculente, d’un destin et de ses péripéties. Gemma Salem suggère des lieux et projette des espaces, fait parler des personnages de chair et fond tout cela dans le mouvement d’un temps fuyant, à la fois tangible et impalpable.
C’est ainsi que, dès les premières pages du roman, nous nous transportons, aux côtés du jeune Micha, alors toubib débutant, dans le Kiev de son enfance. Puis nous voilà, après un voyage congelant, dans le trou de province des Récits d’un jeune médecin, la première de ses œuvres, où Mikhaïl Boulgakov brassa maux et misères à pleines mains.
Et dès ce moment, aussi, se remarque l’habileté avec laquelle Gemma Salem tire parti d’éléments empruntés aux œuvres de l’écrivain, pour donner au roman son climat, ses couleurs et sa vraisemblance, et cela sans qu’on n’ait jamais l’impression de subir une compilation non plus qu’un relevé de filature.
Ensuite nous suivrons Boulgakov à travers les années, des lendemains de la Révolutuoin à la fin des années 30, au fil d’une production littéraire très étroitement surveillée dès ses débuts, à cause de sa liberté de ton et de sa propension satirique, complètement interdite de publication et de représentation au tournant de 1928 (quand bien même Staline avait vu et revu dix–sept fois la pièce intitulée Les Journées des Tourbine !) et que l’acharnement de sa dernière compagne – le très beau personnage de Lena – fera sortir des tiroirs d’infamie après la mort de l’écrivain.
De ce dernier, Le Roman de Monsieur Boulgakov nous donne une image attachante et nuancée. En évitant les pièges de l’idéalisation ou du sentimentalisme, si fréquents dans le genre, Gemma Salem a recomposé le portrait d’un Monsieur très porté sur la vie et les femmes, capable d’autant d’amitié chaleureuse que d’intransigeance têtue, qui tenait par-dessus tout à préserver ses œuvres de toute compromission.
En outre, l’intérêt du livre, autant qu’à la figure du grand écrivain, tient aussi aux scènes multiples visant à restituer l’ensemble d’une époque, avec sa kyrielle de personnages nimbés d’ombre ou de lumière : le maître du Kremlin grasseyant au téléphone, Constantin Stanislavski pontifiant et un peu cacochyme., qui tyrannise ses disciples du Théâtre d’Art, l’affreux journaliste flicard Orlinski commis à l’exécution systématique des œuvres de Boulgakov, ou Sergueï Ermolinski, l’ami des bons et des mauvais jours, et enfin la toute dévouée et tout aimante Lena, à laquelle Gemma Salem prête sa voix dans le monologue poignant du dernier chapitre, devant la dépouille mortelle de son génial compagnon.
Gemma Salem. Le Roman de Monsieur Boulgakov. Editions L’Âge d’homme, collection Contemporains, 1982.
La maison des vifs
D'une verve mordante sur fond de tendresse, le roman de Gemma Salem intitulé Bétulia confirmait les dons de la romancière en 1987. Ce que j'en écrivais dans Le Matin de Lausanne...
Si les verts paradis de l’enfance ont inspiré les écrivains jusqu’à satiété, il n’en va pas de même de l’adolescence, dont la tonalité souvent discordante est plus malaisée à rendre, aussi ingrate en somme que l’âge qu’elle désigne.
Tantôt poétisée, comme dans Le grand Meaulnes d’Alain-Fournier, et tantôt associée à une mythologie plus truculente, ainsi que s’y est employé Alexandre Vialatte dans Les fruits du Congo, l’adolescence est magnifiée dans les meilleures oeuvres qui en évoquent les brumes ou les frasques. Mais le portrait définitif de l’adolescent contemporain, qui en sait à la fois trop et trop peu, et dont les sentiments s exacerbent à proportion de son impatience idéaliste, reste encore à faire.
Du moins en trouve-ton déjà, ici et là, des esquisses appréciables, et celle que nous propose Gemma Salem dans son dernier roman nous paraît des plus attachantes, avec cela de notable qu’il s’agit d’abord d’un livre comique.
Le premier mérite de l’auteur est d’avoir évité tous les poncifs au goût du jour, nous surprenant à chaque page. Qu’il soit question, en l’occurrence, d’un garçon prénommé Léon, fils de parents désunis et que son père accueille en cette arche lausannoise qui donne son nom au titre du livre et où cohabite toute une smalah de plus ou moins marginaux, pouvait faire craindre le pire : les sanglots du caniche abandonné, sa prise de conscience politique au voisinage de tel chanteur boy-scout, ou le déploiement de ses fantasmes à l’approche de vraies dames en chair...
Or c’était compter sans la bonne nature de l’auteur, qu’on retrouve ici en veine et en verve, et qui parvient, à touches légères et mordantes à la fois,; à faire revivre une frise de personnages hauts en couleur dont les traits pittoresques s’intégrent, finalement, dans une vision singulièrement mélancolique.
Une ménagerie
Sur le moment, le défilé de Kuneba le chanteur révolté gui sent des pieds, de Tabernacle le pédé que tyrannise son julot criseux, de Cul et Chemise les sempiternels frères ennemis à la Laurel et Hardy, de la veuve Schütz appelant la police dès qu’un locataire se mouche trop bruyamment, de Clarisse l’intempestive et de ses deux petits lions, d’Arthur le fol ou de José le violoncelliste aux élégances discrètes, ne laisse de nous faire sourire sans discontinuer, et parfois éclater du rirele plus sonore.
Nous sommes, avec Léon le narrateur, comme en visite au jardin zoologique de la vie, loin des parents indifférents et des cafards du monde environnant qui ne s’affirment qu’en traquant le désordre et la moindre saleté.
A cet égard, l’on pourrait reprocher à Gemma Salem de caricaturer la mornitude helvétique à un point qui frise certain nouveau conformisme; mais l’effet comique est tel, dans sa foulée, que la réserve porte à faux.
Jardin secret
De la même façon, si l’auteur ne fait pas toujours dans la dentelle, stylistiquement parlant, le rythme et le tonusde sa phrase, et son sens de la construction romanesque et son art du dialogueparviennent à dissiper nos réticences.
Enfin, le sentiment qui se dégage du livre incline à la pacification, en dépit de ses pointes féroces. Sans rien d’amer ni d’insidieux, c’est un regard amical et un lieu préservé. Ce qu’il y a de beau à Bétulia, c’est que Léon y a découvert la vie en dépit de l’attitude lamentable de son père. Celui-ci, fuyant toute rencontre, n’en aura rien vu. Tandis que Léon, fuyant finalement le foyer pour jeunes inadaptés à quoi son paternel le destine, reviendra, plus tard, à son jardin secret…
Gemma Salem. Bétulia. Editions Flammarion, 1987.
À ces deux aperçus de l'oeuvre de Gemma Salem, riche de nombreux autres titres - romans et pièces de théâtre alternés - je me propose d'ajouter sous peu un développement plus conséquent, digne d'un écrivain de tempérament exceptionnel, dont le dernier livre, de tournure très personnelle, résonnait comme un poignant bilan existentiel.
12:57 Publié dans Culture, Lettres, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)
11/04/2020
Journal sans date (veille de Pâques)
La Vie se demanda, en cette aube de splendide journée-là, si elle allait, ou non, tuer plus de Terriens ou si elle s’en tiendrait à ce qu’elle considérait comme un avertissement et un aveu de faiblesse susceptible d’inquiéter ceux qui se croyaient les plus forts.
En tant que femme sensible, aimant le grand air et les espèces diverses, elle n’avait jamais eu crainte d’avouer sa faiblesse et son goût pour les délires enfantins, les adolescents malades et les sages de grand âge. Or ses aveux ne semblaient pas toucher les fortiches ni la masse violente, imbécile et menteuse.
La Vie, bonne au fond et si belle, était fatiguée de voir le mensonge proliférer au risque de perturber le sommeil des enfants candides et de tromper les plus vulnérables naturellement portés à s’accrocher à elle, qu’elle avait achevés en toute injustice apparente mais en somme pour leur paix.
Que la Vie fût injuste relevait d'un constat qui ne devait point entacher sa bonté potentielle ni moins encore sa rayonnante beauté, mais comment lui reprocher de s’en prendre d’abord aux plus faibles alors qu’elle-même se reconnaissait fragile et parfois fatiguée comme une vieille servante ?
Or les fortiches ne semblaient rien comprendre, et c’est pourquoi la Vie, à l’aube de ce beau jour, se demanda s’il n’était pas temps de les tuer tous, et tous leurs semblables, pour leur ouvrir les yeux ?
11:15 Publié dans Amis - Amies, Commerce, Culture, Développement durable, Economie, Femmes, France, Genève, Humour, Images, Lettres, Loisirs, Médias, Monde, Nature, Politique, Région, Résistance, Société - People, Solidarité, Spiritualités, Suisse, Université, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)
10/04/2020
Journal sans date (10)
Des jours entiers se perdirent pour certains dans le spectacle continu de la violence et des exhibitions diverses, tandis que d’autres (beaucoup) mouraient de faiblesse ou de vieillesse et d’autres encore (également nombreux) se remettaient.
Ce mal étrange , inexplicable en aucune langue même savante, cette maladie inattendue et aussi imprévisible que le Président américain en exercice cette année-là, fut ainsi le révélateur momentané de toutes les angoisses latentes, de toutes les peurs, de tous les aveuglements involontaires ou volontaires de cette non moins étrange Espèce dont beaucoup d’intelligence fut perdue à invoquer des causes et des conséquences qui se contredisaient d’un jour à l’autre comme se contredisaient le Président américain et ses divers homologues - l’étrangeté était alors devenue l’air qu’on respire et les morts-vivants sortirent des écrans le temps d’une orgie de violence et d’extase virtuelle sans pareille.
Tel, qui avait toujours trouvé les films de morts-vivants d’une stupidité humiliante pour l’Espèce, ressentit une humiliation sans égale au cours de ces journées pendant lesquelles ses proches et ses moins proches affrontaient le mal avec une détermination non moins inattendue - beaucoup de femmes au premier rang.
Beaucoup de femmes en effet s’activèrent silencieusement ou parfois en chantonnant à la cuisine de quarantaine et à d’inlassables lessives, entre autres soins de l'Urgence -pendant que les doctes diplômés en théorie théorisaient à qui mieux mieux; et pas mal de conjoints (re)découvrirent ainsi, en leur conjointes, la femme réelle en sa force durable.
De jour en jour il apparut que les arguments d’autorité invoqués par les maîtres diplômés du bien-penser et du bien-parler - femmes titrées comprises -, s’effondraient dans le magma de leur jactance aussi insignifiante que les graphes mondiaux d’une Statistique dépassée par la réalité réelle de ce mal décidément étrange..
11:17 Publié dans Amis - Amies, Commerce, Culture, Développement durable, Economie, Fatrasie, Femmes, France, Histoire, Humour, Images, Lettres, Loisirs, Médias, Monde, Nature, Politique, Région, Résistance, Science, Société - People, Solidarité, Spiritualités, Suisse, Techno, Université, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)
Journal sans date (9)
Le fait qu’il y eût encore quelque chose plutôt que rien , et le fait qu’il y eût moins de choses à considérer en se représentant encore moins de choses stimula l’imagination de l’Individu de tout genre capable d’extrapolations physiques à résonances métaphysiques, à commencer par la supposition que toute électricité fît soudain défaut.
L’éventualité d’un monde soudain éteint, bel et bien obscurci comme en vrai temps de guerre, soudain tout silencieux, plus aucun chargeur, plus aucune énergie de computation donc plus aucune possibilité de communiquer qu’entre conjoints ou voisins, plus de smartphones ni de trains à grande ou petite vitesse, plus de micro-ondes ni d’ascenseurs - cette impensable situation réjouit l’imagination de l’Individu en question, poète en vers réguliers ou aiguilleuse du ciel adepte de la pensée ZEN, reconnaissants tout de même de cela qu’on pût encore s’entendre à vive voix entre balcons et s’écrire des petits bleus au crayon simple.
Image: Philip Seelen
11:13 Publié dans Amis - Amies, Associations, Culture, Développement durable, Economie, Fatrasie, Femmes, Fiction, France, Histoire, Images, Lettres, Loisirs, Médias, Monde, Nature, Politique, Résistance, Science, Société - People, Solidarité, Spiritualités, Suisse, Techno, Université, Vaud, Voyages | Lien permanent | Commentaires (0)
Journal sans date (8)
Quant au Relativiste, il relativisa d’un ton qui laissait à entendre que son relativisme, irréductible à aucune autre façon de relativiser, avait en somme un caractère absolu, à commencer par le fait que le caractère prétendument brutal de la Pandémie de 2020 l’était nettement moins que celle que figure le romancier américain Richard Matheson dans son roman I am a legend qui voit la transformation des contaminés en êtres assez effrayants mais d’une férocité à vrai dire relative puisque les trois films tirés du roman inaugurent pour ainsi dire les espèces nouvelles du mort-vivant et du zombie alors qu’en fait de monstruosité le peintre batave Hieronymus Bosch s’était illustré quelques siècles plus tôt dans la représentation de personnages à peu près sans comparaison, à lui inspirés par la peste noire à côté de laquelle les toussotement et les montées de fièvre de l’actuelle épidémie faisaient piètre figure - et que dire du Pandémonium de l'Enfer de Dante ?
Sur quoi le Relativiste a commencé de tousser, sa fièvre a subitement fait bondir le mercure dans son tube, le souffle au cœur qui le tarabustait relativement souvent s’est transfomé en palpitation absolue, mais on fut impressionné de l’entendre insister, juste avant d’être intubé, sur le fait que son cas ne prouvait rien alors qu’un séisme risquait à l’instant même d’anéantir le rutilant établissement hospitalier dans lequel on l’avait emmené de force et que, par rapport aux données des statistiques cumulées et considérées avec le recul, dans une centaine d’années, ce qui était en train de lui arriver d’irrémédiable et de tragique aux yeux des siens ne ferait que confirmer sa théorie relativiste - et cette seule pensée qu’il avait raison suffit à lui valoir le bonheur absolu d’une guérison hélas toute relative, juste avant sa chute fatale dans l'escalier que vous savez...
11:10 Publié dans Amis - Amies, Culture, Développement durable, Economie, Fatrasie, Fiction, France, Histoire, Humour, Lettres, Loisirs, Médias, Monde, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)