11/04/2020
Journal sans date (veille de Pâques)
La Vie se demanda, en cette aube de splendide journée-là, si elle allait, ou non, tuer plus de Terriens ou si elle s’en tiendrait à ce qu’elle considérait comme un avertissement et un aveu de faiblesse susceptible d’inquiéter ceux qui se croyaient les plus forts.
En tant que femme sensible, aimant le grand air et les espèces diverses, elle n’avait jamais eu crainte d’avouer sa faiblesse et son goût pour les délires enfantins, les adolescents malades et les sages de grand âge. Or ses aveux ne semblaient pas toucher les fortiches ni la masse violente, imbécile et menteuse.
La Vie, bonne au fond et si belle, était fatiguée de voir le mensonge proliférer au risque de perturber le sommeil des enfants candides et de tromper les plus vulnérables naturellement portés à s’accrocher à elle, qu’elle avait achevés en toute injustice apparente mais en somme pour leur paix.
Que la Vie fût injuste relevait d'un constat qui ne devait point entacher sa bonté potentielle ni moins encore sa rayonnante beauté, mais comment lui reprocher de s’en prendre d’abord aux plus faibles alors qu’elle-même se reconnaissait fragile et parfois fatiguée comme une vieille servante ?
Or les fortiches ne semblaient rien comprendre, et c’est pourquoi la Vie, à l’aube de ce beau jour, se demanda s’il n’était pas temps de les tuer tous, et tous leurs semblables, pour leur ouvrir les yeux ?
11:15 Publié dans Amis - Amies, Commerce, Culture, Développement durable, Economie, Femmes, France, Genève, Humour, Images, Lettres, Loisirs, Médias, Monde, Nature, Politique, Région, Résistance, Société - People, Solidarité, Spiritualités, Suisse, Université, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)
10/04/2020
Journal sans date (10)
Des jours entiers se perdirent pour certains dans le spectacle continu de la violence et des exhibitions diverses, tandis que d’autres (beaucoup) mouraient de faiblesse ou de vieillesse et d’autres encore (également nombreux) se remettaient.
Ce mal étrange , inexplicable en aucune langue même savante, cette maladie inattendue et aussi imprévisible que le Président américain en exercice cette année-là, fut ainsi le révélateur momentané de toutes les angoisses latentes, de toutes les peurs, de tous les aveuglements involontaires ou volontaires de cette non moins étrange Espèce dont beaucoup d’intelligence fut perdue à invoquer des causes et des conséquences qui se contredisaient d’un jour à l’autre comme se contredisaient le Président américain et ses divers homologues - l’étrangeté était alors devenue l’air qu’on respire et les morts-vivants sortirent des écrans le temps d’une orgie de violence et d’extase virtuelle sans pareille.
Tel, qui avait toujours trouvé les films de morts-vivants d’une stupidité humiliante pour l’Espèce, ressentit une humiliation sans égale au cours de ces journées pendant lesquelles ses proches et ses moins proches affrontaient le mal avec une détermination non moins inattendue - beaucoup de femmes au premier rang.
Beaucoup de femmes en effet s’activèrent silencieusement ou parfois en chantonnant à la cuisine de quarantaine et à d’inlassables lessives, entre autres soins de l'Urgence -pendant que les doctes diplômés en théorie théorisaient à qui mieux mieux; et pas mal de conjoints (re)découvrirent ainsi, en leur conjointes, la femme réelle en sa force durable.
De jour en jour il apparut que les arguments d’autorité invoqués par les maîtres diplômés du bien-penser et du bien-parler - femmes titrées comprises -, s’effondraient dans le magma de leur jactance aussi insignifiante que les graphes mondiaux d’une Statistique dépassée par la réalité réelle de ce mal décidément étrange..
11:17 Publié dans Amis - Amies, Commerce, Culture, Développement durable, Economie, Fatrasie, Femmes, France, Histoire, Humour, Images, Lettres, Loisirs, Médias, Monde, Nature, Politique, Région, Résistance, Science, Société - People, Solidarité, Spiritualités, Suisse, Techno, Université, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)
Journal sans date (8)
Quant au Relativiste, il relativisa d’un ton qui laissait à entendre que son relativisme, irréductible à aucune autre façon de relativiser, avait en somme un caractère absolu, à commencer par le fait que le caractère prétendument brutal de la Pandémie de 2020 l’était nettement moins que celle que figure le romancier américain Richard Matheson dans son roman I am a legend qui voit la transformation des contaminés en êtres assez effrayants mais d’une férocité à vrai dire relative puisque les trois films tirés du roman inaugurent pour ainsi dire les espèces nouvelles du mort-vivant et du zombie alors qu’en fait de monstruosité le peintre batave Hieronymus Bosch s’était illustré quelques siècles plus tôt dans la représentation de personnages à peu près sans comparaison, à lui inspirés par la peste noire à côté de laquelle les toussotement et les montées de fièvre de l’actuelle épidémie faisaient piètre figure - et que dire du Pandémonium de l'Enfer de Dante ?
Sur quoi le Relativiste a commencé de tousser, sa fièvre a subitement fait bondir le mercure dans son tube, le souffle au cœur qui le tarabustait relativement souvent s’est transfomé en palpitation absolue, mais on fut impressionné de l’entendre insister, juste avant d’être intubé, sur le fait que son cas ne prouvait rien alors qu’un séisme risquait à l’instant même d’anéantir le rutilant établissement hospitalier dans lequel on l’avait emmené de force et que, par rapport aux données des statistiques cumulées et considérées avec le recul, dans une centaine d’années, ce qui était en train de lui arriver d’irrémédiable et de tragique aux yeux des siens ne ferait que confirmer sa théorie relativiste - et cette seule pensée qu’il avait raison suffit à lui valoir le bonheur absolu d’une guérison hélas toute relative, juste avant sa chute fatale dans l'escalier que vous savez...
11:10 Publié dans Amis - Amies, Culture, Développement durable, Economie, Fatrasie, Fiction, France, Histoire, Humour, Lettres, Loisirs, Médias, Monde, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)
Journal sans date (7)
On titube, on est de plus en plus sûr qu’on n’est sûr de rien, on ne sait exactement s’il faut porter le masque ou pas : on s’informe de tout et du contraire de tout et tout fait Question, et tout fait Problème.
Faut-il porter le masque ou pas ? Faut-il faire cuire le masque à 70° pour tuer « le microbe » avant de resortir, et faut-il resortir ou pas ?
Faut-il sortir du confinement après Pâques ou faut-il attendre l’Ascension ou la Fête du Travail ? Faut-il arrêter l’été ?
Quant au Problème, on s’est tout de suite demandé (dans nos pays de nantis) qui allait payer ? Et qui ne payera pas dans les pays pauvres ? Comment les pays sans eau vont-ils se laver les mains ? Et faudra-t-il confiner les pauvres dans des camps puisqu’ils s’obstinent à vivre les uns sur les autres ?
Que fait le Président américain qui a eu l’air dès le commencement de s’en laver les mains sans se les laver au demeurant ? Va-t-il se masquer ou la pandémie va-t-elle le démasquer ? Va-t-il s’en prendre personnellement aux contaminés coupables de ne pas s’être protégés après avoir stigmatisé le complot combiné de l’Organisation Mondiale de la santé et de la Chine aux yeux notoirement bridés, ou le Virus va-t-il continuer de ne pas se montrer fair-play ?
Enfin répondre à la Question du Problème va-t-elle nous aider à résoudre le Problème de la Question ?
11:06 Publié dans Développement durable, Fatrasie, Histoire, Humour, Lettres, Loisirs, Monde, Nature, Politique, Résistance, Science, Société - People, Spiritualités, Suisse, Techno, Université, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)
03/04/2020
Journal sans date
1.
Dès ce moment, et pour une durée indéterminée, l’évidence apparut qu’on devrait renoncer à toute date et toute mention de lieu, toute signature aussi dans la suite des constats significatifs.
Le premier de ces constats portait sur la difficuté respiratoire frappant d’abord les plus faibles, puis atteignant graduellement les plus forts. Est-ce dire que le monde était devenu irrespirable ? Oui et non.
Le deuxième constat significatif était qu’on hésitait , pour une durée indéterminée (l’expression pour une durée indéterminée avait été prononcés en haut lieu et s’était trouvée répercutée par les médias et les réseaux tant sociaux qu'asociaux) entre toute affirmation et son contraire. Nul n’était sûr de rien, sauf ceux qui se targuaient du contraire sans en être sûrs.
Le troisième constat indubitable (tout était toujours allé par trois jusque-là, dans ce monde-là, qui conservait ses réflexes binaires) fut que les plus intelligents se montrèrent immédiatement les plus stupides, non moins immédiatement portés au déni que les plus stupides, en affirmant sans le reconnaître qu’on ne pouvait leur faire ça à eux, tant ils étaient intelligents et donc supérieurs aux plus stupides.
Les plus forts, les plus puissants, les mieux cotés en Bourse, les plus ostensiblement possédants semèrent quelque temps le doute, de même que les plus portés à se croire croyants et les plus portés à se croire savants.
Tous avaient encore un nom dont ils signaient leurs traites et autres actes de foi accréditant leur croyance en la toute puissance de l’Argent et du Dieu en Lequel ils investissaient dans la double soumission au Pouvoir et au Savoir – ou plus exactement au Sachoir des sachants - le savoir (le bon vieux savoir des humbles savants à binocles et tabliers de ménagères) étant d’un autre ordre, plus discret et secret.
(À suivre très vite...)
12:29 Publié dans Amis - Amies, Culture, Développement durable, Economie, Fatrasie, Femmes, Fiction, France, Humour, Lettres, Loisirs, Monde, Nature, Résistance, Société - People, Spiritualités, Suisse, Techno, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)
19/10/2019
un Ramdam à péter les plombs
Le Ramdam d’Antonin Moeri ne tombera pas dans l’oreille des sourds...
Dans sa dernière fiction, l’auteur vaudois joue avec un fait de société (la guerre entre voisins) comme s’y emploient le percutant Ferdinand von Schirach dans ses nouvelles ou le non moins grinçant Ulrich Seidl dans ses films proches du « docu ». Où le style, à tout coup, le regard personnel et la patte font office de valeur ajoutée…
Les conflits de voisinage ont ceci de particulier, dans la longue histoire des relations humaines, qu’ils prennent souvent, à partir de vétilles, des proportions tellement outrées qu’elles en deviennent irrésistiblement comiques, et La brouille des deux Ivan de Gogol en est la meilleure illustration en littérature.
Il y a quelques années de ça, un reportage de la télé romande documentait ce genre de bisbilles dans un contexte de villas Mon rêveoù des nains de jardins de nos régions se transformaient soudain en foudres de haine et autres harpies, recourant tantôt à la police et tantôt aux tribunaux pour des questions infimes de pelouses défrisées ou d’arbrisseaux jetant de l’ombre sur le jacuzzi voisin, que c’en était à se tordre de rire.
Bref, chacune et chacun connaît ce genre de situations bêtes ou méchantes sans en faire pour autant un plat ou pire : un livre, alors qu’Antonin Moeri s’y accroche, dans Ramdam, avec une sorte de passion vorace qui ne date à vrai dire pas d’hier.
De fait celles et ceux qui ont suivi le parcours littéraire de ce nouvelliste mordant (Allegro amorosoou Le sourire de Mickey) auteur en outre de plusieurs romans décapants travaillant le matériau actuel et le langage des temps qui courent avec une acuité verbale à la Houellebecq, plus ou moins héritier aussi d’un Thomas Bernhard par son usage du sarcasme et de l’humour noir – ceux-là donc auront apprécié (ou pas !) le type d’observations cinglantes, voire désobligeantes, de celui qui représentait son double narrateur en veste de pyjama dans son roman précédent – l’une de ses plus belles réussites.
L’homme qui a vu Naïm qui a vu Malik…
Or Ramdam développe l’observation du scrutateur en veste de pyjama de façon plus têtue, tonique et panique, et plus «explicite » dans sa façon de traiter un fait de société virant à la tragédie - dans une sorte de rapport à valeur de dénonciation au deuxième degré que le narrateur (on dira l’auteur pour faire simple) dédouble en fiction, mêlant faits possiblement avérés et compléments extrapolés à sa façon; et c’est là que, véritablement, le roman commence.
Au départ du « travail » du narrateur, un fait divers relatif au ras-le-bol d’un certain Monsier Tavares, victime d’un voisinage toxique, le porte à imaginer, à partir de documents que lui fournit un certain Naïm sur un cas similaire, une fiction romanesque qui se nourrit de témoignages divers relatifs à la vie quotidienne d’un certain Malik, fils binational d’un Algérien et d’une Suissesse, en butte lui aussi aux débordements sonores de son voisin du dessus, un certain Monsieur Bugnon qui n’aime rien tant que de faire trembler tout l’immeuble en laissant retomber ses haltères sur le sol, ou de forniquer non moins bruyamment, avant de provoquer verbalement son « bougnoule » de voisin à chaque fois qu’il le croise flanqué de son chien Brutus…
Pour une « meilleure compréhension »
Ainsi le projet du narrateur a-t-il cela de particulier qu’il joue à la fois sur des faits supposés « réels » et toute une série de compléments relevant de la fiction mais qui nous en diront plus sur la situation en cours, les détails s’accumulant sur les composantes du conflit opposant Malik et le redoutable Bugnon, lequel devient un personnage assez représentatif du racisme ordinaire tout en s’humanisant quelque peu sous la plume du romancier, alors que Malik, au contraire, apparaît sous un jour quasi parano qui nuance son statut de victime idéale.
Mais à quoi tout cela rime-t-il ? N’est-ce pas un jeu équivoque que d’imaginer des situations qui procèdent à la fois d’une réalité sociale avérée et de la fantaisie d’un romancier ? Celui-ci ne trahit il pas la «vérité» en soumettant ses personnages au conditionnel de ses conjectures. Ou, tout au contraire, le jeu des suppositions permet-il au romancier, en s’impliquant également lui-même, de participer à une meilleure compréhension de la situation évoquée.
Une page intéressante éclaire la démarche à la fois « objective » et non moins « subjective » du narrateur. Celui-ci, plus ou moins en panne sur son « travail », s’accorde une balade au cours de laquelle une rêverie en roue libre l’aidera peut-être à relancer son récit : « Car je m’étais demandé comment persévérer dans cette entreprise, dans cet essai de compréhension (…) Ce que j’ai toujours aimé dans la marche, c’est la délicieuse ivresse qu’elle peut procurer », et de fait la marche vient compléter ici les phrases esquissées entre les quatre murs de sa cellule et voici qu’en pleine nature les images du conflit imaginé s’exacerbent: « Il y a la bête immonde mue par un obscur instinct, l’exécration et la terreur ; les foudroyantes agressions, les pulsations de la vue et le chant rauque qui monte le long des tours, la guerre entre voisins », etc.
Les faits et le «plus» de la fiction
L’usage des faits divers en littérature remonte à la plus haute Antiquité, pourrait-on dire en parodiant le délicieux Alexandre Vialatte, mais les choses ont changé avec la prolifération des journaux populaires, à la fin du XIXe siècle (notamment avec Dostoïevski tirant le polar « métaphysique de Crime et châtiment d’une sordide affaire), et les médias actuels, l’explosion du feuilleton plus ou moins criminel à base sociale ou psychologique rebondissant en séries télévisées auxquelles s’ajoutent de nombreuses docu-fictions parfois supérieures en qualité, tout cela nous incitant à mieux discerner ce qui relève du « photomaton », pure copie du réel, et ce qui, par le style de l’auteur, ressortit à ce qu’on appelle la littérature, sans connotation « élitaire » obligatoire.
Mais la patte d’une Patricia Highsmith, ou celle d’un Simenon, dont les romans partent souvent de faits divers, signalent bel et bien une «valeur ajoutée» qui se retrouve, au cinéma, dans les fictions astringentes de l’Autrichien Ulrich Seidl, très proches de docus sociaux en plus carabinées, ou dans les nouvelles de l’auteur allemand Ferdinand von Schirach (Coupableset Crimes), avocat de métier qui « traite » les affaires les plus significatives, et parfois les plus atroces, avec le regard acéré d’un moraliste et le talent d’un vrai conteur.
Je tombe enfin, dans le journal de ce matin, sur le compte rendu du procès intenté à une jeune mère qui a étouffé son nouveau-né après avoir dissimulé cette troisième grossesse à son entourage, je vois la scène en tremblant de rage et de compassion mêlées et je me dis : « affreux ! », tout en constatant in pettoque faire de cette tragédie autre chose qu’un épisode à sensation demandera autant d’empathie que de délicatesse, de lucidité et d’honnêteté…
Alors qui s’y collera d’Antonin Moeri, de Ferdinand von Schirach ou du terrible Ulrich Seidl ? Défi !
Antonin Moeri. Ramdam. Bernard Campiche, 190p.
Ferdinand von Schirach, Crimeset Coupabes, Folio et Gallimard.
09:26 Publié dans Humour, Lettres, Médias, Société - People, Suisse, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)
02/01/2019
Et l'opérette ça vous chante ?
Du 11 au 20 janvier prochains, à la Grange de Dorigny, dans le sud-ouest lausannois, se donnera la première, en création, d’une opérette du compositeur Richard Dubugnon, sous le titre de Jeanne et Hiro. À peine deux mois après la création du Mystère d'Agaune, oratorio salué par d’aucuns comme un chef-d’œuvre, et la présentation à Lyon d’une autre œuvre originale à caractère napoléonien, l’incursion de Richard Dubugnon dans le genre festif, voire folâtre de l’opérette, exigeait un éclaircissement, dûment apporté par notre entretien exclusif plutôt qu’inclusif…
- Maître, puisque c’est sous ce titre que vous aimez être appelé en début d’année, comment voyez-vous l’avenir à l’horizon de 2019 ?
- Où avez-vous lu que je désirais être appelé ainsi ? Il est vrai que l’on nommait les compositeurs « Maître » encore au début du siècle passé, or aujourd’hui seuls les chefs d’orchestre ont droit à ce terme flatteur, et en italien s’il vous plaît, alors que sans le compositeur, ils n’auraient rien à diriger… Pour 2019, je ne suis pas devin, s’il y avait un horizon à imaginer « en bien », ce serait l’ébauche d’une action globale pour sauver le climat de notre planète ! Je crains cependant que 2019 ne sera que la continuation de 2018 : plus de pollution, plus d’insécurité, plus de peur, donc plus d’agressivité, hélas. L’homme n’a pas évolué moralement depuis l’antiquité, pire : il a mis son affolante technologie au service de ses tares les plus viles. Mon souhait caché serait que la morale de mon ouvrage, que vous découvrirez en fin d’entretien, soit suivie par tous.
- La rumeur parle de votre prochain ouvrage en le qualifiant d’opérette. Est-ce bien sérieux ?
- Il s’agit en effet d’une opérette mais - comme le terme le laisse deviner - c’est évidemment pour ne pas se prendre au sérieux. Une réaction sans doute à l’actualité que nous servent les médias friands de sensationnalisme qui fait leur pain quotidien. En réalité, cela fait longtemps que je voulais m’amuser et montrer mon penchant clownesque, qui est plus « moi » dans la vie réelle que le compositeur de concertos et de musique savante.
- L’on dit aussi que l’opus en question sera représenté dans une grange. Confirmez-vous à l’heure qu’il est ?
- Oui, à la Grange Dorigny, mais on aura pris soin d’en ôter les bottes de paille, car vu que la musique est « hot », le risque d’incendie est grand.
- Est-ce trop vous demander d’en détailler l’intrigue sans déflorer le secret de ses ressorts ?
- On laissera donc les ressorts vierges tout en vous dévoilant ceci : Jeanne & Hiro raconte l’histoire d’une soprano à la voix ordinaire qui débute l’opérette par une audition pour la Sopran’Ac, parodie de programmes télévisés. Recalée, elle décide d’aller à Rio pour changer de voix. Dans un Rio fantasmagorique, où se pratiquent des opérations en tout genre, elle y fera la connaissance du marabout noir albinos Loumbago, des travestis Foao, Woao et Boao, du culturiste Pho To Ma Tong et enfin de Hiro, champion du monde de kakaroké, qui fera battre son cœur un peu plus fort. Ses tentatives de changer de voix lui feront connaître moult aventures et mésaventures, ce qui fait qu’elle n’aura à la fin qu’un seul désir : retrouver sa petite voix d’antan.
- Le transit de l’Oratorio à l’Opérette exige-t-il ce qu’on pourrait taxer de grand écart musical ?
- Je suis habitué à m’adapter à chaque nouveau projet. Pour le Mystère d’Agaune auquel vous faites allusion , je me suis collé au texte magnifique de Christophe Gallaz, teinté de gravité et de douce poésie, tout en le mâtinant de touches humoristiques : ici des ustensiles de cuisine, des sirènes d’ambulances, là un orgue de Barbarie jouant des antiennes grégoriennes, un orgue faux jouant une valse déglinguée… Le burlesque n’est jamais loin, car le rire est sacré. Ceux qui ne rient pas, ne sont pas humains ! N’est-ce pas vrai que le rire est le propre de l’homme, puisque certains animaux pleurent? Ce transit m'est donc intrinsèque, il est organique, intestinal.
- Qu’en est il de vos interprètes, chanteurs et musiciens ? Vont-ils nous dérider ?
- « C’est pas tous les jours qu’on vous déride les fesses» , disait notre ami Tonton georges, mais il s’agit de la troupe Cluster Créations, dirigée par Elisabeth Greppin-Péclat, rompue à l’exercice de création, puisqu’elle avait notamment ressuscité l’opéra Sauvage du regretté Dominique Lehmann en cette même Grange de Dorigny en 2016. Pour Jeanne & Hiro, le foisonnement de Rio nécessite des artistes versatiles capables de faire plusieurs personnages à la fois, des musiciens jouant de plusieurs instruments dans plusieurs styles, du classique au Funk en passant par la Samba bien-sûr, et capables de jouer la comédie. Il y aura aussi de la vidéo, des effets sonores et un peu de magie. Je fais appel à cinq chanteurs, un petit orchestre de couleur jazz : piano, basse, batterie, percussion. La mise en scène est assurée par le dramaturge vaudois Benjamin Knobil, également auteur de pièces de théâtre et qui a fondé la compagnie Nonante Trois.
- Quel message cette œuvre nouvelle fait-elle passer, et notamment à l’attention de nos jeunes ?
- Comme dans toutes les comédies, il y a beaucoup de messages d’avertissement sous le couvert du burlesque : en ouverture d’opérette, le Cancan du cellulaire rappelle d'éteindre son téléphone portable en se moquant de l’addiction de certains. Les répliques du jury de la Sopran’Ac illustrent l'arrogance de ceux qui s’improvisent juges dans des matières où ils n’y entendent rien. L’air avec chœur Fum’ fum’ nous renvoie à l’époque où fumer était un art, alors qu'aujourd’hui c’est devenu un acte terroriste… Ainsi de suite. La morale que je cherche à faire passer - après m’être gentiment vengé des chanteuses égocentriques et copieusement moqué du monde du showbiz classique et télévisé - est « on est vraiment bien qu’avec ce qu’on a » et « il faut s’accepter tel que l’on est ». Une prière toute bête, mais qui rendrait la planète un meilleur endroit pour vivre si elle était suivie par tous !
Je cite le quatrain final de Jeanne & Hiro chanté en chœur :
Ah qu'on est bien avec sa vraie voix,
On est vraiment bien qu'avec ce qu'on a !
Vouloir toujours plus, ça obsède,
Et fait négliger ce qu'on possède.
Il faut savoir s'accepter tel que l'on est.
Soprano, petite ou grande,
Noir, blanc, métis, albinos ou japonais,
La règle reste la même :
On ne peut aimer sans s'aimer soi-même.
18:33 Publié dans Culture, Humour, Lettres, Loisirs, Musique, Société - People, Suisse, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)
14/01/2018
Un formidable ciné-roman !
Quand le roi des Belges et le père de Tintin tournaient un film au bord du Léman, Grock s’exclamait : « Sans blâââgue ?!
La pesante réalité se trouve dépassée par la dansante fiction du dernier roman de Patrick Roegiers, Le roi, Donald Duck et les vacances du dessinateur, qui est à la fois un film et son propre making of, une BD verbale aussi claire que le XXe siècle fut obscur, un retour aux sources du dessin animé et des premiers rêves hollywoodiens, un portrait amical de la Suisse aux clichés savoureusement sublimés, une façon pacifiée de revisiter les pesanteurs humaines en temps de guerre, un hommage à Tintin le vertueux avec la malice de Quick et Flupke et autres Marx Brothers, un festival de trouvailles drolatiques parsemé d’interjections à valeur de sous-titres : chic et chouette, quel talent !
Que ferait Donald Duck, le plus américain des canards de nos enfances, s’il apprenait que son homonyme, devenu président de la firme America First après un début de carrière à la Picsou, s’avisait de se pointer au bord du lac de Davos, au pied du mont Forum, pour s’y baigner avec sa suite de mille pingouins en costumes de kleptocrates télévangélistes ?
La réponse se trouve suggérée noir sur blanc à la page 149 d’un livre qui vient de paraître en France sous la signature d’un auteur d’origine belge à qui rien de ce qui est suisse n’est étranger, à commencer par les règlements de police de celle-ci.
L’on pourrait ainsi imaginer, comme dans le roman au bord du Léman, que Donald lance à Trump s’apprêtant à plonger dans le lac de Davos: « Commencez par lire les écriteaux avant de rouler les mécaniques ! Et d’abord celui-ci: « NOYADE INTERDITE ». Et celui-là pour faire bon poids : « NE VOUS ASSEYEZ PAS DANS LE FOND ».
Du coup, le Président à mèche d’éléphant rose s’exclamerait : « Damned, mais où suis-je ?». Et le Donald le plus sympa de la paire, soudain métamorphosé en Daffy Duck, le vilain canard de Tex Avery, poursuivrait d’un ton se la jouant inquisiteur cantonal : « Vous êtes en Suisse et pas dans une de ces « pays de m… » que vous avez spoliés avant de punir leurs pauvres gens, et en Suisse ça blague pas. Vous avez le permis pour regarder le lac ? » - « C’est combien ? » - « 50 francs » - « C’est pas donné ». – « C’est comme à Mar-al-lago, tout se paie ! Pas de sous pas de Suisse ! »
Hergé, cette année-là, se sentait « tout chose »…
« S’il y a une chose que je déteste plus que de ne pas être pris au sérieux, c’est de l’être trop », disait Billy Wilder auquel on doit le plus hollywoodien des films sur Hollywood, Sunset Boulevard, cité par Patrick Roegiers en exergue de la deuxième partie de son roman (intitulée Le principe du rire contradictoire), et l’auteur pourrait le prendre à son propre compte.
De fait, les gens qui se prennent au sérieux seront tentés de taxer de galéjade ce livre mélangeant tous les genres et traitant d’un pied léger les graves sujets du non moins grave siècle passé. À l’inverse, ceux qui pour les mêmes motifs attendent d’un auteur qu’il traite gravement les graves sujets, tomberont dans le même panneau en prêtant trop de sérieux au propos du romancier.
Ces graves sujets, pour parler clair, se résument à l’attitude jugée irresponsable du roi Léopold III au début de la Deuxième Guerre mondiale, refusant à la fois de rejoindre le gouvernement en exil à Londres et de pactiser avec les Allemands à l’instar des Français de Vichy. Et, côté George Remi, alias Hergé, d’avoir collaboré, fût-ce avec d’innocentes bandes dessinées pour enfants, à un journal taxé de complaisance avec l’occupant, dont les responsables furent condamnés à mort puis graciés.
Léopold traître à la partie ? Hergé collabo ? Devant la justice d’après-guerre, celui-ci fut blanchi, l’Auditeur militaire du procès concluant qu’il ne pouvait se couvrir de ridicule en recommandant sa condamnation. Le résistant William Ugueux, en décembre 1945, déclare ainsi à son propos «Quelqu'un qui s'est bien conduit à titre personnel, mais qui n'en est pas moins demeuré un anglophobe évoluant toujours dans la mouvance rexiste. Il illustrait bien la passerelle qui reliait l'esprit scout primaire et la mentalité élémentaire des rexistes : goût du chef, du défilé, de l'uniforme… Un maladroit plutôt qu'un traître. Et candide sur le plan politique ».
Ces détails avérés se retrouvent bel et bien dans un chapitre du roman de Patrick Roegiers où Léopold et Hergé évoquent leur passé, mais le thème du livre n’est en rien une «démystification» politiquement correcte au goût du jour, ni une retouche d’image comme celle qui avait inspiré L’Autre Simenon, ouvrage antérieur de Patrick Roegiers où celui-ci égratignait la statue du grand romancier en rappelant la dérive fasciste de son frère…
Quant à Léopold, dont la conduite pouvait se justifier à certains égards, mais qui s’était rendu impopulaire par sa morgue aristocratique et son style de joueur de golf, il avait finalement abdiqué au profit de son fils Baudoin, de profil plus neutre et mieux approprié au théâtre royal «pour rire» de notre temps de démocratie sociale plus ou moins propre sur elle…
La Suisse, pharmacie pour les cabossés de la vie
Durant notre enfance de sauvageons, lorsque nous allions nous royaumer dans les forêts des hauts de Lausanne, il nous arriva de tomber sur un vieux Monsieur maigre comme un oiseau et de haute taille, coiffé d’un béret et nanti d’une loupe, qui scrutait les mousses et les fougères avec la plus vive attention. L’on nous dit qu’il s’agissait d’Auguste Piccard, un savant qui était descendu très profond dans les océans et monté très haut dans la stratosphère, mais nous ignorions alors qu’il avait été le modèle du professeur Tournesol, que nous retrouvons volontiers dans le roman de Patrick Roegiers comme nous y retrouvons Bianca Castafiore à ses débuts et le petit Tchang, l’un de nos meilleurs amis de papier de la même époque.
Lorsque, en 1948 (je m’en souviens comme d’hier, âgé d’un an et trouvant déjà le ciel très bleu, comme dans le roman), Hergé se retrouve à l’Auberge du Lac, près de Gland, il traverse une période de doute. La serveuse de l’auberge, une prénommée Colette venue d’Yverdon, est pourtant accorte, le patron est non moins avenant et ses menus «de sorte», mais le père de Tintin doute de sa créature, qu’il trouve trop parfait, trop performant, trop vertueux, trop tout. En un mot : Tintin lui casse les pieds, et puis il se pose des questions sur sa relation avec Germaine, dont l’amour est intact de son côté à elle alors qu’il envisage la séparation.
Or une chance est alors offerte à Hergé qui déprime - et notamment à cause de «rêves blancs» assez terrifiants, tant il est vrai que voir tout en blanc n’est pas plus réjouissant que de voir tout en noir -, puisqu’il lui est donné de rencontrer le roi des Belges en état de royale «vacance», un peu comme lui mais la couronne en plus, et qu’avec ce Léopold très porté sur le golf il se trouve là, en Suisse où tout est parfait, embarqué dans un roman qui est à la fois le récit d’un tournage d’un mois, dont lui et le monarque seront les héros, avec une foule de figurants aussi différents que Bugs Bunny et Mary Pickford, Einstein et Ava Gardner, Rodolphe Töpffer et Popeye, Hitler au Bürgenstock et Lénine à Zurich, notamment.
On pourrait trouver loufoque, voire gratuite, l’idée de tourner en 1948 un film à Gland sur la rencontre de deux Belges et d’en faire en 2017 un roman paraissant sous la même couverture jaune que La meute, pamphlet stupidement teigneux de Yann Moix vomissant sa haine de la Suisse après l’affaire Polanski. Et puis non : tout est possible, tout se tient, même si la haine disperse (Satan !) alors que l’affection, l’amitié, l’étonnement, l’enthousiasme, la gentillesse, l’humour, tendent plutôt à tisser du lien. C’était d’ailleurs l’idéal de Renard rusé, alias Hergé, à son époque de scout catho de droite : tissons du lien !
L’écriture ne se fait pas du cinéma, elle en est un autre…
Patrick Roegiers est un écrivain de tripe et de soin. C’est un grand connaisseur. Qu’il parle de billard ou de ping-pong, de Belgique (dans son mémorable Bonheur des Belges) ou de cinéma, de proverbes suisses (souvent inventés à ce qu'il semble, et pourtant non) ou de faits plus réels qu’historiques (la rencontre de Léopold III et d’Adolf Hitelr au Bürgenstock, avant l’installation en ces lieux de Gina Lollobrigida), il invente juste. Cendrars l’avait dit avant lui : peu importe que j’aie réellement pris le Transsibérien, si je vous l’ai fait prendre !
Un écrivain de tripe et d’esprit se reconnaît à ses qualificatifs et autres formules. Quand il écrit que Peter Lorre, le héros de M. le Maudit, a l’air d’un «marcassin au physique de punaise», ou qu’Hitler au Bürgenstock évoquait un chef de gare , qu'Auguste Piccard était «une sorte de héron dégingandé à l’humeur électrique» ou que l’indifférence était le royaume de Léopold, il marque, comme quand il note qu’Hergé avait la dégaine d’une représentant de cravates…
Mais il n’y a pas que ça : il y a l’action et les situations. Avec le roman en train de se faire, il y a le film en train de se tourner. On connaît la tragique fin d’Astrid, la femme adorée de Léopold, morte à Küsnacht en suite d’une faute de conduite de son jules. Or, dans le film, la doublure d’Astrid en réchappe alors que Léopold (le vrai) s’en sort avec trois côtes cassées, la clavicule brisée la jambe gauche en compote. Et le romancier de commenter : Boum ! Le cinéma est plus dangereux que la littérature quand on veut faire sans cascadeur...
« La vie est-elle autre chose qu’une plaisanterie ? ». Telle est la question-piège que Patrick Roegiers pose à la fin de son roman. Les gens qui se prennent au sérieux en débattront en séminaires. Après le Forum, les prix de Davos redeviennent accessibles. Quant à l’écrivain, il parodie crânement le langage publicitaire du serial twitter le plus inquiétant des temps qui courent: « Le meilleur roman de l’Histoire ! Savoureux ! Le meilleur film de l’année ! Une réussite ! Un livre cinématographique. Original ! »
Patrick Roegiers. Le roi, Donald Duck et les vacances du dessinateur. Grasset, 291p.
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04/07/2017
Danser avec La Fée Valse







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16/03/2017
Et que danse La Fée Valse !
Où le maestro Sergio Belluz, baritone drammatico et fabuliste polygraphomane, se fait le chantre spontané de La Fée Valse...
Dans les quelques cent-trente pièces facétieuses et virtuoses de ce recueil savoureux qu’est La Fée Valse (Vevey : L’Aire, 2017), c’est tout l’humour, toute la fantaisie, et toute l’oreille de Jean-Louis Kuffer qui s’en donnent à cœur joie – un livre que l’OULIPO de Raymond Queneau aurait immédiatement revendiqué comme une suite d’Exercices de style amoureux, tout comme il aurait réclamé à hauts cris la publication urgente et salutaire des fameux "Ceux qui" – « Celui qui se débat dans l’absence de débat / Celle qui mène le débat dans son jacuzzi où elle a réuni divers pipoles / Ceux qui font débat d’un peu tout mais plus volontiers de rien / Celui qui ne trouve plus à parler qu’à son Rottweiler Jean-Paul / Celle qui estime qu’un entretien vaut mieux que deux tu l’auras... » – que l’auteur dispense de manière irresponsable sur des réseaux sociaux complaisants, sans mesurer les risques de mourir de rire (l’Office fédéral des assurances sociales s’inquiète).
Une des pièces, Kaléidoscope, explique bien l’esthétique du livre : « Quand j’étais môme je voyais le monde comme ça : j’avais cassé le vitrail de la chapelle avec ma fronde et j’ai ramassé et recollé les morceaux comme ça, tout à fait comme ça, j’te dis, et c’est comme ça, depuis ce temps-là, que je le vois, le monde ».
La Fée Valse, c’est d’abord un amusant portrait fellinien de nos grandeurs et de nos petitesses amoureuses, de nos fantasmes et de nos regrets, qui joue sur l’alternances des narrations, sur l’accumulation des pastiches, sur le jeu des registres de langue, sur les sonorités, sur les cocasseries des noms propres et sur les références autant littéraires que populaires : « C’était un spectacle que de voir le lieutenant von der Vogelweide bécoter le fusilier Wahnsinn. Je les ai surpris à la pause dans une clairière : on aurait dit deux lesbiches. J’ai trouvé ça pas possible et pourtant ça m’a remué quelque part » (Lesbos)
On y joue sur les mots, bien sûr : « Les femmes des villas des hauts de ville sont évidemment favorisées par rapport aux habitantes du centre, mais c’est surtout en zone de moyenne montagne que se dispensent le plus librement les bienfaits du ramonage» (Le Bouc)
On y prépare aussi des chutes hilarantes par la transition brusque entre une tirade en forme de poncif qui termine par un particularisme terre-à-terre, comme dans En coulisses : « Je sais bien que les tableaux du sieur Degas ont quelque chose d’assez émoustillant, mais faut jamais oublier les odeurs de pied et la poussière en suspens qu’il y a là derrière, enfin je ne crois pas la trahir en précisant que Fernande n’aime faire ça que sous le drap et qu’en tant que pompier de l’Opéra j’ai ma dignité » ou comme dans Travesti : « Que le Seigneur me change en truie si ce ne sont point là des rejetons de Sodome !’ , s’était exclamée Mademoiselle du Pontet de sous-Garde en se levant brusquement de sa chaise après le baiser à la Belle au bois dormant qu’avaient échangé sur scène le ravissant petit Renne et Vaillant Castor l’éphèbe au poil noir. »
On s’amuse des conformismes et des jargons de certains milieux : « ...Après sa période Lichens et fibrilles, qui l’a propulsé au top du marché international, Bjorn Bjornsen a mené une longue réflexion, dans sa retraite de Samos, sur la ligne de fracture séparant la nature naturée de la nature naturante, et c’est durant cette ascèse de questionnement qu’est survenue l’Illumination dont procède la série radicale des Fragments d’ossuaire que nous présentons en exclusivité dans les jardins de la Fondation sponsorisé par la fameuse banque Lehman Brothers... » (Arte povera)
En passant, on récrit Proust façon XXIe siècle, comme dans Café littéraire – « C’est pas que les Verdurin soient pas à la coule : les Verdu c’est la vieille paire de la belle époque de Woodstock, leur juke-box contient encore du passable, style Jailhouse rock et autres Ruby Tuesday Amsterdam ou La mauvaise réputation, enfin tu vois quoi, mais tout ça est pourtant laminé sous l’effet des goûts du barman Charlus, fan de divas italiennes et de choeurs teutons. » – et on évoque Foucault – « Sa façon de feindre la domination sur les moins friqués de la grande banlieue, puis de renverser tout à coup le rapport et de trouver à chaque fois un nouveau symbole de soumission, nous a énormément amené au niveau des discussions de groupe, sans compter le pacson de ses royalties qu’il faisait verser par ses éditeurs à la cellule de solidarité. »
Une suite d’hilarants jeux de rôles, superbement écrits, qu’on verrait bien joués sur scène, tant l’auteur sait capter et retranscrire en virtuose les sonorités du verbiage contemporain, avec ses mélancolies et ses ambiguïtés, aussi : « Le voyeur ne se reproche rien pour autant, il y a en lui trop de dépit, mais il se promet à l’instant que, demain soir, il reprendra la lecture à sa vieille locataire aveugle qui lui dit, comme ça, que de l’écouter lire la fait jouir » (Confusion)
Vous êtes libre, ce soir ?
Ce texte a été copié/collé à sa source, à l'enseigne de Sergiobelluz.com.
Le dessin original illustrant La Fée Valse est de la main de l'artiste vaudois Stéphane Zaech. L'image illustrant Kaléidoscope est signée Philip Seelen. Le joueur de flipper est une oeuvre de Joseph Czapski. Le vernissage de La Fée Valse se tiendra le 31 mars 2017 au Café littéraire de Vevey, avec lectures et animations, bons plats et verres amicaux, dès 18h.30.
11:57 Publié dans Amis - Amies, Commerce, Culture, Fatrasie, Femmes, Fiction, Humour, Lettres, Médias, Monde, Musique, Région, Résistance, Société - People, Suisse, Techno, Vaud, Voyages | Lien permanent | Commentaires (0)
23/07/2016
Première à l'alpage
À propos de la représentation, le 14 juillet
2016 à La Comballaz, de Musique, Amour et Fantaisie, duo de Sergio Belluz (chant) et Oksana Ivashchenko (piano) célébrant deux génies volontiers folâtres : Rossini et Satie.
La fantaisie est assez rare aujourd'hui, dans les lieux de culte souvent graves voire compassés où la musique dite classique continue d'être célébrée, aussi est-ce avec une non moins rare jubilation que nous avons assisté , en date d'un 14 juillet mémorable à divers titres - civilisation et barbarie mêlés - à la première représentation du concert-spectacle très original conçu par le baryton lettré italo-lausannois cosmopolite Sergio Belluz, avec la complicité délicatement athlétique de la pianiste ukrainienne Oksana Ivashchenko, pour la défense et l'illustration de ces deux génies profondément débridés et non moins superficiellement profonds que furent le Pesarien Giovachino Antonio Rossini (1792-1868) et le Parisien Eric-Alfred-Leslie Satie (1866-1925), entre chats miauleurs et crustacés à sonorités coruscantes, marche funèbre et petits trains à fumées blanches et croches pointées…
Apparier les musiques de Rossini et de Satie n’est pas trop surprenant, de la part de Sergio Belluz, dont les goûts musicaux et littéraires rompent volontiers avec les conventions académiques et l’affectation pompeuse, sans donner pour autant dans la facilité démagogique au goût du jour. Rapprocher deux grands musiciens sous prétexte que l’un a composé un Prélude hygiénique du matin, et l’autre une Etude asthmatique, entre un Ouf les petits pois ! et des Peccadiles importunes pourrait sembler peu sérieux voire anodin, mais là encore le jeu n’a rien de gratuit : le rapprochement éclaire, autant que la perspicacité malicieuse de Sergio Bellum, la réelle parenté de Rossini et de Satie à cette enseigne, précisément, d’une fantaisie relevant du jeu profond, de l’humour salubre et d’une non moins perceptible mélancolie en sourdine.
C’est que Rossini et Satie sont tous deux de grands amoureux de la vie et de vrais poètes, qui prouvent qu’on peut être bigrement sérieux sans se prendre trop bougrement au sérieux, acrobates en virtuosité sans sonner le creux.
S’il ne vise pas prioritairement les mélomanes ferrés, loin de là, le récit-récital conçu par Sergio Belluz vaut à la fois par ses éclairages sur la vie de chacun des deux musiciens et son intelligence fine de la musique. Ainsi module-t-il à la fois les voies biographiques et les voix de Rossini et de Satie, qu’il fait parler en première personne et donc raconter leurs vies respectives pour ceux qui ne les connaîtraient point, avant de passer aux illustrations musicales, chant et piano alternés ou de concert.
Côté biographie, on s’intéresse notamment à la comparaison de deux versions du Barbier de Séville, de Paisiello et de Rossini, dont la première de celui-ci fut chahutée par la claque convoquée par celui-là, avant que justice ne soit rendue au jeune musicien contre le barbon jaloux. On sait que la première carrière de Rossini , brillantissime, durant laquelle il composa une quarantaine d’opéras, fut suivie par une « retraite » à laquelle Sergio Belluz a consacré une particulière attention, avec l’ironie qui sied à l’approche de Péchés de vieillesse d’une réjouissante fraîcheur.
Côté découverte, en tout cas pour le soussigné et quelques autres Béotiens, ce seront les notes graves et puissamment imprimées dans la matière sonore, par la pianiste ukrainienne, d’une récapitulation panachée où la mémoire multiplie les citations de ce qui fut chanté jadis et naguère, pour finir en beauté avec Mon petit train de plaisir …
Si la partie rossinienne du récital fait déjà la part belle au piano, celui-ci va s’en donner à cœur joie dans le grappillage de morceaux tirés par le maître-queux de la marmite merveilleuse de Satie.
L’esprit français, de Villon à Rabelais et jusqu’à Proust et Sacha Guitry, par Saint-Simon et le Chat noir, non sans de multiples détours, allie naturellement la subtilité savante et la veine populaire. C’est ce qu’on appelle une civilisation, qui prévoit une place pour chaque chose, de l’éléphant au magasin de porcelaine.
Le métier de chanteur, tant que le métier de pianiste, requièrent des compétences qui excluent toute tricherie. Or ni Rossini ni Satie ne leur ménageront aucun repos. La facilité d’apparence est le produit d’une ascèse. Et dans la foulée on nous livre unes espèce de mode d’emploi ou de manifeste joyeux, intitulé L’Esprit musical, tiré d’une conférence donnée par le compositeur en 1924 dans les villes certifiées belges de Bruxelles et Anvers, dont chaque mot nous touche tandis que la pianiste fait merveille sur son clavier où défilent finalement les inénarrables crustacés de Satie.
On se croirait à l’opéra. Rossini n’a pas eu le temps de lire Proust, mais les poissons et les oiseaux se mêlent les pinceaux, et Satie fait mousser le rideau… Pour que chacune et chacun soient contents, précisons enfin que cette première à l’alpage fut donnée sous le toit accueillant de dame Geneviève Bille, à l’enseigne de Lettres vivantes (www.lettresvivantes.ch)
12:53 Publié dans Culture, Fatrasie, Humour, Lettres, Musique, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)